MARYSE

Maryse se souvient d’un après-midi d’hiver, peu avant le 7 janvier, lorsqu’elle faisait les comptes avec Georges. Cela ne leur arrivait jamais, mais ils devaient bien s’y résoudre puisqu’ils étaient sur le point de déménager. Ils ont beaucoup ri cet après-midi là, ils étaient heureux de se dire qu’après 47 ans d’amour, on peut encore se réjouir de commencer une nouvelle vie ensemble. 

47 ans d’amour… Maryse est consciente que peu de couples restent aussi longtemps amoureux. Selon elle, on construit un couple pierre après pierre, avec de la tolérance, de l’humour, de l’amour. Maryse et Georges ont bâti une cathédrale qui n’a pas pu être achevée, à cause du fracas des attentats contre Charlie Hebdo. Maryse aurait été intéressée de voir comment l’édifice aurait évolué, avec le temps. Elle dit que plus Georges et elle avançaient dans la vie, plus ils se soudaient.

« C’était une belle histoire », dit Maryse. Ils s’étaient rencontrés en 68, au Journal du Dimanche. Maryse était stagiaire, Georges dessinait pour la une. Quand elle l’a connu, il venait d'écrire une pièce intitulée « Je ne veux pas mourir idiot ». Il vivait dans le monde du journalisme et du spectacle, et Maryse a tout de suite eu le coup de foudre pour cet homme. Georges était un fantasme à ses yeux : athée, cosmopolite, d’origine juive, né au Maghreb... Ils étaient deux extrêmes mais leurs valeurs les rapprochaient ; ils n’étaient pas faits l’un pour l’autre, mais ils se sont faits l’un pour l’autre. Et puis, il y avait l’humour, l’amour et la liberté.

En effet, selon Maryse, il n’y a pas de recette pour « réussir » un couple, mais bien des attitudes : l’humour donne de la distance, permet de comprendre l’autre, de régler les problèmes. Georges la faisait rire, il la taquinait. Elle se souvient qu’au tout début de leur mariage, elle avait raté une tarte et que depuis lors, elle n’en cuisinait plus. Or, à chaque fin de repas, Georges aimait à lui demander : « Chérie, tu as fait une tarte ? » Tout le monde riait à table ; Georges était parfois lourd, parfois canaille, mais toujours amoureux.

C’est difficile, de ne plus sentir son regard amoureux sur elle. Georges lui donnait beaucoup de confiance, c’est lui qui lui a conseillé d’écrire des livres, des pièces de théâtre. C’est difficile, de ne plus se nourrir de ce regard. Désormais, Maryse vit dans un pays inconnu: la solitude.

Pour faire le deuil, pour avancer et pour apaiser sa colère, Maryse a publié un livre hommage à Georges, un livre d’amour. Elle avoue qu’en l’écrivant, un autre souvenir s’est révélée à elle : elle se rappelle de son mariage avec Georges. Ils étaient seuls, en Normandie et avaient engagé deux témoins. Après s’être dit oui, Maryse et Georges ont passé la nuit dans un champ et ils se sont endormis sous les étoiles. C’est un souvenir très cher à Maryse : il symbolise l’amour et la liberté.